Danone : "le low cost m'a tuer"

Publié le par nolowcost

Nous évoquons dans notre livre No Low Cost les petites arnaques pour faire baisser artificiellement les prix. Au rayon des astuces mises en oeuvre par les industriels, nous avons notamment enquêté sur la pratique qui consiste à remplacer les ingrédients nobles par des ingrédients au rabais de moins bonne qualité et à proposer des formats plus petits. Le magazine CAPITAL revient ce matin sur l'échec du yaourt low cost de Danone et démonte les stratégies mises en oeuvre pour tromper les consommateurs. La "low cost story" a finalement mal tourné. Instructif et complémentaire de notre enquête...
 


Le yaourt low-cost de Danone a fait splash

Packaging raté, prix faussement cassé, gélatine de porc dans la recette : l’Eco Pack à 1 euro se voulait l’arme anticrise du géant français des produits laitiers. Il a manqué sa cible. Le yaourt low-cost de Danone a fait splash Le yaourt low-cost de Danone a fait splash

C'est ce qui s’appelle pédaler dans le yaourt. Après l’arrêt de Senja, puis d’Essensis au printemps 2009, Danone vient d’essuyer un nouvel échec : sa barquette de 6 pots à 1 euro, baptisée Eco Pack, a quitté les linéaires en septembre dernier, un an seulement après son arrivée. Un retrait express et en catimini qui tranche avec l’énorme buzz médiatique dont elle avait bénéficié à sa sortie.

Pour la première fois en France, le roi du yaourt haut de gamme – Actimel, Activia, Danacol… – s’aventurait en effet dans le low-cost avec quatre références : nature, sucré, arôme vanille et fraise. «Danone doit couvrir le spectre entier du pouvoir d’achat», justifiait alors Franck Riboud, le patron. La nouvelle, révélée par «Le Figaro», fit le tour des gazettes, jusqu’au «Financial Times». Présenté comme l’arme anticrise de Danone, l’Eco Pack eut même les honneurs du 20 Heures de France 2, avec gros plans sur le logo et interview du directeur marketing, Olivier Delamea.

Un battage que le groupe se défend d’avoir orchestré. «Nous n’avons pas dépensé 1 euro en pub», précise-t-on au siège. Il n’empêche : en pleine récession, cette offre à bas prix d’une grande marque réputée chère pouvait difficilement passer inaperçue. Las… Après un pic en décembre 2008 – 75 tonnes écoulées pour la version sans sucre, 22 tonnes pour la ­version sucrée – les ventes n’ont cessé de dégringoler.

dANONE.jpgA en croire le géant des desserts, ce fiasco n’aurait qu’une seule explication : les distributeurs n’ont pas ou ont mal référencé cette nouveauté par crainte de concurrencer leurs propres marques, qui s’arrogent aujourd’hui 37% de part de marché sur l’ensemble du rayon. Trois mois après son lancement, moins d’un hyper sur deux ­proposait Eco Pack. Leclerc, Monoprix et Auchan, notamment, ont boudé la trouvaille. Mais le procès en sorcellerie instruit par Danone fait sourire toutes les enseignes, même celles, comme Système U, qui ont joué le jeu.

«Nous sommes des gens pragmatiques, rappelle un responsable des "nouveaux commerçants" : si les clients avaient plébiscité Eco Pack, on l’aurait gardé. Visiblement, ils n’en ont pas vu l’intérêt.» Consultant en alimentaire et président du cabinet XTC, ­Xavier Terlet renchérit : «Le propre d’une innovation, c’est d’apporter un bénéfice au consommateur. Dans le cas présent, il n’y avait rien.» Pire : bricolé en quelques semaines par les équipes de Danone, quand un énième parfum de Danette nécessite à lui seul dix-huit mois de travail, ce yaourt fleurait ­surtout l’attrape-gogos…

Première manip : le prix. Affiché en gros sur l’emballage, l’euro symbolique promettait une bonne affaire. Mais les pots, d’un format rigoureusement identique à ceux d’un Danone classique, contenaient moins de produit : 115 grammes contre 125 grammes. «A moins de comparer les poids nets inscrits en petit sur l’emballage, on n’y voyait que du feu», regrette Charles Pernin, chargé de mission à la CLCV, une association de consommateurs. Au final, l’Eco Pack coûtait plus cher au kilo que son cousin sans sucre en barquette de douze : 1,45 euro, contre 1,39. Un comble !

La recette, elle aussi, laissait à désirer. Ce yaourt, fabriqué dans l’usine Danone de Bailleul (Nord) comme les Activia et les Danacol, n’était pas à proprement parler un yaourt – ou yoghourt, c’est la même chose – mais une «spécialité laitière fermentée». La raison ? Pour réduire ses coûts de fabrication, le groupe utilisait un lait moins ­riche en matières grasses que celui d’un Danone classique. Mais, faute d’une onctuosité suffisante, les cuistots de la maison ont dû ajouter divers ingrédients susceptibles de lui donner de l’épaisseur : du phosphate de diamidon ou E-1442 ; et de la gélatine – de porc, en l’occurrence – qu’on trouve également dans les Gervita ou les Taillefine 0%. Des petits arrangements que même un hard discounter comme Ed s’interdit pour ses «nature»… Du coup, Eco Pack ne pouvait plus prétendre à l’appellation légale de «yaourt».

 

«Ce distinguo est un peu stupide, note le nutritionniste Jean-Michel Cohen, car ces additifs n’ont pas d’incidence sur les qualités nutritionnelles du produit. Par contre, si on a l’habitude de manger des yaourts sans gélatine, on peut être dérangé par sa présence du fait de notre mémoire de l’alimentation, ou phénotype, qui régit nos habitudes de consommation.» Moralité : on ne trompe pas aussi facilement nos chères papilles. Yoplait ne s’y est pas risqué. En lançant début 2009 son «offre éco» sur plusieurs références, le challenger de Danone a pris soin de ne pas toucher aux recettes, ni au grammage. Il a juste rogné sa marge. Résultat : les 6 Petits Filous à 1 euro sont toujours en rayon.

A dire vrai, seul le packaging ultradépouillé de la barquette affichait clairement la couleur. Trop sans doute… Si l’absence de suremballage en carton – par souci d’économies – pouvait se comprendre, le bandeau «€co Pack» jaune pétant qui barrait chacun des pots n’avait, lui, rien de très flatteur au moment de passer en caisse. Comme si ce yaourt, dans l’esprit de Franck Riboud, ne méritait pas mieux.

 

«De l’entrée de gamme, à l’aspect visuel peu valorisant : on infligeait la double peine au consommateur», juge Frédéric Messian, président de l’agence de design Lonsdale. Qui établit un parallèle avec Essensis. «Dans les deux cas, le packaging s’est cantonné au premier degré : c’est totalement nouveau, donc c’est rose fluo. C’est low-cost, donc c’est moche.» Un peu léger pour un champion du marketing…

 

Certes, ce «hold-up qui a mal tourné», comme le résume un concurrent, n’a pas coûté cher à l’industriel. Et le succès d’Activia 0%, une nouvelle gamme qui marche bien – 7 500 tonnes vendues en 2009 – l’a vite consolé. Restent les dégâts en termes d’image. Depuis des années, Danone dépense des fortunes en spots télé pour vanter les bienfaits de ses yaourts sur l’organisme. Son dernier-né, Densia, avec une colonne vertébrale sur l’étiquette, aiderait, nous dit-on, «à garder les os solides».

 

Un leitmotiv sur la santé pas franchement raccord avec le positionnement d’Eco Pack. «Nos clients n’ont pas été perturbés par ces deux niveaux de discours», assure Gabriella Colletti, chargée de la communication à la branche produits frais. Voire. Comme le rappelle l’expert Georges Lewi, directeur du Centre européen de la marque, «les consommateurs détestent qu’on joue à contre-emploi. Une marque leader peut faire des promos, mais pas du hard discount». «C’est comme en politique, ose-t-il : les gens tolèrent mal qu’un président de la République tombe dans le bling bling.» Dur, ensuite, de corriger le tir…


Arnaud Bouillin (CAPITAL, Le 03/03/2010)

Publié dans Grande distribution

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B
<br /> Merci à notre tour pour votre article intéressant. Vous posez effectivement la question du choix entre l'innovation et la course au prix le plus bas. Comme vous l'écrivez fort justement, les<br /> consommateurs sont prêts à payer plus cher s'ils perçoivent l'innovation, la qualité et le progrès.Et, j'ai envie d'ajouter, s'ils savaient vraiment ce qu'on leur vend !<br /> <br /> <br />
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<br /> Merci pour votre reprise et commentaire d'un article intéressant de Capital. Il ya un an, j'écrivait un article dans Marketing Magazine pour réagir aux différentes bévues de Danone notamment Eco<br /> Pack dont les ventes étaient réjouissantes à cette période. J'étais seul contre tous à l'époque. Tous les spécialistes et experts s'accordaient à saluer l'initiative. certains d'entre eux<br /> argumentent le contraire aujourd'hui sans aucune honte. on appelle cela des consultants. C'est un métier<br /> <br /> Pour lire l'article MktMag : http://www.xtc.fr/upload/uploads/File/produits_services/marketing_magazine_danone_innovation_crise_0409.pdf<br /> <br /> <br />
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